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Casamance : l’antagonisme entre l’État et le Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance

INTRODUCTION

Depuis près de quatre décennies, le Sénégal connait dans sa partie sud l’un des plus vieux conflits de l’Afrique au sud du Sahara. En effet, le 26 décembre 1982, la répression d’une marche contestataire d’hommes et de femmes de la région par les forces gouvernementales ouvre la voie à une confrontation armée en Casamance. A partir de cette date, les populations qui vivent dans la zone continuent de subir les caprices d’un antagonisme qui alterne entre des séquences de violence et d’accalmie plongeant ainsi la zone dans une situation de « ni paix ni guerre ». Toutefois, les rivalités entre l’appareil étatique logé dans le Nord et les séparatistes du Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance (MFDC), dont l’épicentre est la Basse-Casamance, sont très anciennes. Les causes de ces hostilités aussi bien lointaines qu’immédiates et s’enchevêtrant les unes par rapports aux autres ont été suffisamment présentées par les productions sur la question et donc inutile d’y revenir ici. Sans doute une des plus vieilles crises du continent, le conflit casamançais nourrit le paradoxe d’être l’un des plus méconnus et des moins démocratisés. On note alors un silence aussi étonnant qu’ahurissant autour d’une question pourtant si cruciale et si centrale de par son impact au quotidien sur la vie des populations. En d’autres termes, cette question est soustraite au débat public, voire privé (Diatta, 2017) par un Etat monopolisateur et trop désireux d’en faire une affaire purement interne et de son ressort. L’expression « conflit de basse intensité », souvent affectée à la crise casamançaise, fait de cette question un « centre silencieux, ou réduit au silence » (Spivak, 2009 : 43). Ainsi, même la dynamique de recherche de paix lancée vers les 1990 et ayant conduit à la signature de plusieurs accords de cessez-le-feu et de paix entre l’Etat et le mouvement séparatiste, Cacheu 1991, Banjul 1999-2001, Foundiougne 2005, et plus tard, l’inscription des mécanismes traditionnels de résolutions de conflits au centre du processus de paix, n’ont ni permis de libérer la parole encore moins de restaurer la paix dans la région de Sénégambie.

I- LES ORIGINES DU CONFLIT

L’histoire de la Casamance révèle que les peuples de cette zone ont toujours eu des rapports tendus avec les représentants de l’Etat wébérien. La fin de la colonisation qui consacre le passage d’une administration coloniale à une auto gouvernance n’a pas pour autant permis d’installer le sentiment d’unicité dans les rapports entre la nouvelle classe dirigeante et les populations autochtones de la Casamance. Les raisons de cette distance entre les peuples du Nord et celles du Sud sont multiples et variées.

- Les facteurs politiques

Les aspects politiques semblent très marquants dans la rivalité entre le Nord et le Sud. Les revendications identitaires sont révélatrices de la crise d’autorité politique – et donc de l’Etat postcoloniale en Afrique. La question casamançaise rentre aussi dans ce cadre. Il s’avère fondamentale d’interroger globalement l’exercice du pouvoir politique en Casamance pour comprendre comment un État, présenté comme un modèle démocratique mais apparemment affaibli au plan politique dans cette partie de son territoire, négocie l’imposition de son autorité politique (Fatimata Diallo, 2016 : 10). Se présente ainsi une situation de rivalité entre, d’une part, une nouvelle classe de dirigeants qui cherche à exercer et faire exercer son autorité et d’autre part, une volonté d’insoumission qui ne s’est pas éteint malgré le nombre d’années. En fait, « l’État sénégalais, même si sa souveraineté a été plus affirmée que celle de l’État colonial, n’a jamais vraiment réussi à s’imposer aux marges de son territoire » (Fanchette, 2002 : 321). Dès lors, il n’était quasiment pas surprenant de voir cet antagonisme entre les deux aires se durcir dans les années quatre-vingt. En d’autres termes, le conflit qui oppose aujourd’hui l’Etat du Sénégal au groupe séparatiste du MFDC, peut être vu comme le simple prolongement d’un affrontement entre deux modèles. De ces rivalités, vont naître des politiques d’exclusion et d’aliénation de la part de l’Etat vis-à-vis des cadres issus de la région de Casamance. C’est ce que semble confirmer les propos d’Abdoulaye Wade lorsqu’il soutient dans son message à la nation du 03 avril 2001 que « la Casamance a toujours été victime d’injustices et d’exclusion ». C’est d’ailleurs dans l’optique de réagir à ces tendances d’exclusion politique que le Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance fut créé le 04 mars 1947 à Sédhiou, dans la région de Kolda, par un groupe de cadres issus de la région dont Emile Badiane, Victor Diatta, Edouard Diallo et Souleymane Baldé dans le but de porter les revendications de la Casamance. Selon l’historien Assane Seck, dans une interview accordé à l’APS, « le fait que les populations des régions de l’intérieur du Sénégal ne comptaient pas dans la marche politiques des années précédant l’indépendance est à l’origine du Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance (MFDC) dans les années 1947-48…Ce qui faisait mal justement aux responsables casamançais de l’époque, c’était que les investitures se faisaient hors de la région, à Dakar ou Saint-Louis ». La fusion de du MFDC originel dans le Bloc Démocratique Sénégalais lors du congrès de Ziguinchor en 1954 ne tiendra pas longtemps. Il d’ailleurs noté qu’une partie constituée pour la plupart des jeunes s’en était opposée et s’est constituée en une autre entité, le Mouvement Autonome de la Casamance (MAC). Cette cohabitation complexe entre l’élite politique du Nord et celle du Sud qui va progressivement mener à la crise qui éclata ouvertement en 1982. En effet, c’est le fort sentiment de vouloir corriger le système qui a conduit bien souvent à des réactions très violentes, des affrontements extrêmement durs. Oumar Diatta écrit à cet effet : « sur ces cendres mal éteintes, le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) resurgit militairement en 1982, à travers sa branche armée : Atika ». La question d’une promesse d’indépendance que le président Léopold Sédar Senghor aurait fait à la Casamance est aussi un facteur qui revient souvent dans l’analyse des causes.

- Les facteurs culturels

La question des spécificités culturelle est aussi une variable très présente parmi les raisons souvent avancées comme étant déclencheurs du conflit. La place prépondérante qu’occupe aujourd’hui le facteur culturel dans le processus paix en Casamance n’est pas anodine. Cela s’explique par le fait que le MFDC lui-même a grandement exploité cette idée d’un capital symbolique, culturel et historique qui serait partagé par les Casamançais et serait étranger aux « Sénégalais ». Seulement, ce capital mobilisé est celui des Joola. On constate alors une instrumentalisation et une transformation du processus de construction identitaire joola en langage politique (Séverine Awenengo, 2006). On retient alors de cette situation que la question casamançaise et sa gestion ont mis au centre la société joola, qu’il serait important, aussi bien pour l’État et les autorités politiques locales que pour le MFDC, de séduire ou de réprimer (Amnesty International, 1998). De ce point de vue, la situation de crise que traverse le sud du pays appelle à s’interroger sur les pratiques de l’autorité politique et la nature de l’État sénégalais dans cette région, réputée pour de supposées ou réelles spécificités socioculturelles, qui sont souvent présentées comme la cause du conflit (Fatimata Diallo, 2016 :10). Un diagnostic de la gestion de ces « différences » par l’Etat est pertinente d’autant plus que le postulat de base majeur dans le discours irrédentiste du M.F.D.C porte sur l’existence de deux nations historiquement constituées et différenciées, qui correspondraient à la Casamance et au reste du Sénégal, censé constituer une autre entité homogène (Y. J. Saint-Martin : 1989). Si on s’inscrit dans cette logique la Casamance apparaîtrait alors comme une entité avec un peuple qu’il faut séparer de celui du Nord du pays et qui est tributaire d’une histoire bien propre. L’histoire de cette région du Sénégal révèle que les autochtones de la zone ont toujours été réfractaires à la domination, et ce bien avant même l’arrivée des colonisateurs français. La spécificité des traditions et modes de gouvernance et le fort ancrage des populations dans ces croyances dans cette partie du pays a nourrit une attitude de rejet de la culture importée. La légende de la prêtresse Aline Sitoé Diatta, la dame de Cabrousse, est un exemple suffisant de cette réfraction. On a pu alors parler de destin national de la Casamance qui « n’a jamais été une région (sic) du Sénégal » (M. N. Sané, Sud Hebdo, 1992 : 5) et qui remonterait au XVIIe siècle.

- Les facteurs économiques

L’aspect économique est aussi élément non négligeable pour tenter d’expliquer l’antagonisme entre l’Etat et les séparatistes du MFDC. Cette dimension du conflit est d’ailleurs soulevée par nombre de chercheurs qui ont investi la question. Mamadou Dia affirmait qu’« aujourd’hui, en dépit de ce formidable potentiel économique, la Casamance offre l’image d’un mendiant assis sur une mine d’or» (Oumar Diatta, 2008). Sur ce plan, un certain certains analystes du conflit avance comme justification à la revendication indépendantiste, la place d’une « région oubliée » accordée à la Casamance. Diatta s’interroge à ce niveau s’il s’agit bien d’un oubli ou d’un choix délibéré de l’Etat du Sénégal de maintenir la Casamance dans le sous-développement et la dépendance vis-à-vis de Dakar. En fait, il semblerait que le fort potentiel que regorge cette zone suscite la convoitise des régions centrales et septentrionales (Priscilla Sadatchy : 2011). Selon les tenants de la perspective économiste, on note une absence de volonté de la part des autorités vis-à-vis du Sud et cela depuis très longtemps. Celle-ci se traduit sur le terrain par un manque d’investissement, un déficit énorme d‘aménagements publics, des infrastructures très usées, pour ne mentionner que cela. Le contraste est frappant en matière de développement entre la partie Nord du pays, très industrialisé, et celle du Sud, marquée par une absence d’initiatives en la matière. La théorie de la marginalisation économique de la Casamance semblerait alors pertinente pour comprendre les contours de la problématique casamançaise. Les porteurs d’une telle vision estiment qu’œuvrer dans le développement de la Casamance, en la dotant d’infrastructures digne de ce nom, moteur d’une stabilité économique et sociale, serait un moyen de maintenir les Casamançais sur leur sol et de renforcer par-là ce qu’Oumar Diatta appelle le sentiment de « casamancité ». C’est dans ce sens que les nombreuses promesses faites à la Casamance et jamais tenues, ont été évoquées. La promesse d’une enveloppe de 114 milliards FCFA par le premier ministre socialiste Mamadou Lamine Loum, en mai 2000, suivie de celle de 140 milliards par Moustapha Niasse, premier ministre sous Wade, une autre de 140 milliards par Idrissa Seck, en juillet 2003. C’est ainsi que Diatta va parler de « région d’expérimentation des promesses et de présentation de maquettes du gouvernement sénégalais ». Il faut aussi noter l’extraction des ressources par les ressortissants « nordistes ». En somme, la situation économique de la région de Casamance se présente comme une conséquence de l’orientation du pouvoir depuis de nombreuses années, combinée à une forte extraction des richesses de la région.

II- LA MARCHE DE 1982 : LE POINT DE DEPART DE PRES DE QUATRE DECENNIES D’AFFRONTEMENT

Le 26 décembre 1982 est considéré comme la date officielle de d’éclatement du conflit en Casamance. Ce jour-là, une grande foule d’hommes et de femmes défilent dans les rues de la capitale casamançaise, Ziguinchor, remplaçant le drapeau national au niveau des bâtiments administratifs par un autre de couleur blanche, symbole de l’indépendance de la Casamance. La réponse répressive des forces de l’ordre a occasionné la blessure de plusieurs personnes du côté des manifestants comme de celui des forces de sécurité et la mort d’un gendarme. Parmi la centaine de personnes arrêtées au cours des semaines suivantes se trouvaient l’Abbé Augustin Diamacoune Senghor, qui deviendra plus tard un leader important du Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance (MFDC) et Mamadou Nkrumah Sané, l’idéologue du mouvement. La gestion par le gouvernement sénégalais de ce mécontentement croissant a conduit à une plus grande discorde et à des manifestations de plus en plus violentes (Penda Bâ, Nyimasata Camara et Moise Diédhiou : 2020). Ces événements ont conduit au durcissement du Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance, qui jusque-là était resté sur l’échiquier politique. Ainsi, l’aile armée « Atika » du mouvement va voir le jour à l’initiative Sidy Badji, « ancien combattant » de l’armée française. Sous le commandement de cet homme, les combattants se retirèrent dans les forêts de la Casamance pour recruter et se former. La gestion de ce dossier par l’Etat a joué en faveur des séparatistes car cela n’a fait qu’accroître la frustration et crée une volonté de vengeance qui a amené beaucoup de personnes à rejoindre les rangs du maquis. Il faut dire que depuis le déclenchement de cette crise, la stratégie du pouvoir a été celle du bâton, tapant sur tout ce qui bouge. Cela a entraîné la résistance de tous ceux qui étaient pourchassés suite aux événements de 1982-1983 (Nouha Cissé, RFI, 26/12/2012-14 :26). En somme, cette marche a été un tournant majeur de l’antagonisme entre l’Etat du Sénégal et les séparatistes.


III- QUELQUES EVENEMENTS MARQUANTS DANS L’HISTOIRE DU CONFLIT

- La loi sur le domaine nationale de 1964 consacrait la nationalisation des terres. Cette disposition a créé beaucoup de frustrations dans le monde rural. Ce fut le cas dans la région de Casamance où la tradition attache une certaine sacralité à la terre avec une transmission de père en fils. Il faut aussi souligner que dans cette zone la notion de l’Etat sous sa forme moderne n’est pas très ancrée dans ces sociétés. Ce qui a encore rendu plus problématique l’application de cette disposition en Casamance c’est surtout son caractère ségrégationniste et excluant. Très tôt cette loi a été contestée du fait qu’elle semblait donner plus d’avantages aux ressortissants du Nord.

- L’éclatement du MFDC en plusieurs factions a aussi été une étape majeure dans l’évolution de ce conflit. En fait, la multiplication des fronts a eu comme corolaire l’émergence de plusieurs chefs et donc le positionnement sur le terrain de plusieurs interlocuteurs rendant ainsi le conflit et surtout le processus de paix dans la région encore plus complexe.

- La déroute de l’armée sénégalaise à Mandina Macagne, un village situé à quelques encablures de la commune de Ziguinchor. Le 17 août 1997 plus précisément, l’unité spéciale de « jambaars » dont la mission été de déloger les éléments du MFDC, tombent dans une embuscade tendue par un groupe de combattant d’Atika. L’accrochage entre les deux parties à couter la vie de 25 soldats sénégalais inhumé au cimetière mixte de Santhiaba. Cette tragédie est l’un des événements les plus douloureux, une véritable hécatombe, pour l’armée sénégalaise. Elle constitue la plus grande dérive qu'elle n’ait connue jusque-là dans le cadre de ce conflit (Abouké Sagna, Le Journal du Pays : 22 août 2017).

- La mort de l’Abbé Augustin Diamacoune Senghor, constitue un des faits marquants dans l’évolution du conflit casamançais. Chef emblématique, l’abbé Diamacoune Senghor s’est imposé naturellement comme le leader historique du MFDC. Et, malgré les scissions apparues dès 1992, celui qui est affectueusement «papa Koulimpi» dans la région de Ziguinchor restera la figure incontestée du MFDC. Sa disparition ouvre une période d’incertitude pour le fragile processus de paix en Casamance. Avec qui l’Etat va-t-il négocier ?


CONCLUSION

Le conflit qui oppose qui a éclaté en 1982 dans la région de Casamance a connu aujourd’hui des évolutions et des ramifications au de devenir une crise sénégambienne. Autrement dit, la Gambie et la Guinée-Bissau constituent des acteurs incontournables de cette crise. Si ces deux voisins du Sénégal ne sont pas directement touchés par le feu de la guerre, ils le sont par ses impacts à cause du grand nombre de déplacés qu’ils reçoivent. Ce conflit considéré comme le plus vieux en Afrique se présente aujourd’hui, malgré les nombreux efforts consentis de part et d’autres pour sa résolution, sous une forme de « ni paix ni guerre ».

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